« Il y a un vrai sujet autour du partage de ces données, de leur propriété et du consentement. »
Selon le recensement 2020 d’Agreste, la France compte quelque 416 400 exploitations agricoles en France. Autant de potentielles précieuses sources de données. Mais ce n’est cependant pas si simple, comme l’explique Thierry Desforges, agriculteur et start-uppeur (fondateur de monpotager.com et cofondateur de La Ferme digitale), vice-président de la commission Recherche & Développement en charge du numérique à la FNSEA.
L’agriculture française génère-t-elle beaucoup de données ?
D’un point de vue macro, oui, la quantité de données générées par l’agriculture en France est importante. Elles sont de types très variés (voir pastille) et leur volume dépend bien entendu du type, de la taille des exploitations et de comment elles sont gérées. On sait que l’élevage laitier est le secteur qui en produit le plus. Très réglementé avec le contrôle laitier, c’est la filière agricole la plus avancée en matière de digitalisation, d’autant que la plupart des éleveurs laitiers ont adopté des robots de traite qui collectent beaucoup de données, sans forcément y avoir accès.
Les agriculteurs sont-ils conscients des données qu’ils génèrent et de leur valeur ?
Bien sûr qu’ils le sont ! C’est bien pour cela qu’il y a un vrai sujet autour du partage de ces données, de leur propriété et du consentement… Cependant, comme dans tous les pans de la société, tous n’ont pas les mêmes affinités avec les technologies et l’innovation. Certains sont plus enclins à générer des données, en plus grande quantité et de nature plus complexe. D’autres exploitants sont en revanche plus en retrait dans ce domaine. Si l’on compare, par exemple, un exploitant céréalier qui fait du pilotage fractionné d’engrais avec des images satellites et/ou de la cartographie de rendement avec sa moissonneuse-batteuse avec un agriculteur qui pilote sa dose d’engrais à l’année, la quantité de données générées et leur degré de finesse ne sont évidemment pas les mêmes.
Plus généralement, comment les agriculteurs appréhendent-ils le sujet du numérique ? Constate-t-on, sur le terrain, une évolution des mentalités ?
Oui fatalement, car il suffit de voir à quel point on est entouré de données, de technologies, etc. Cela se répercute forcément sur l’adoption des outils numériques. Il y a une courbe positive de progression chez les agriculteurs dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs (gestion, environnement, santé au travail…), mais ce n’est pas suffisant et le chemin est encore long.
En quoi la mutualisation des données est-elle importante pour le secteur agricole ?
C’est crucial car l’on sait que c’est en multipliant les données et surtout leur analyse que l’on améliore la connaissance du secteur et que l’on peut optimiser et affiner les différents types d’interventions et les approches technico-économiques des exploitations. Plus on dispose de données, plus on est proche de la réalité et mieux on aborde la gestion du risque. A contrario, sans données, on est nécessairement dans une démarche très empirique, en découvrant « sur le tas ».
Quels sont les obstacles au partage de données agricole ?
Il y a d’abord la question cruciale du consentement. Tout le travail mené avec Agritrust sur le gestionnaire de consentement pour rassurer et sécuriser les agriculteurs est d’ailleurs essentiel sur ce point. A cela s’ajoute le sujet du partage de la valeur créée par ces données entre les différents acteurs économiques. Si un agriculteur communique ses données à une entreprise ou une organisation, que celle-ci en tire une valeur multipliée par 100 mais ne rend que très peu à l’agriculteur, il est normal qu’il s’interroge sur l’intérêt de partager ses données ! Je ne cesse de le dire, les agriculteurs produisent des données au même titre qu’ils produisent du lait, de la viande, des céréales, etc. Il faut qu’ils bénéficient de cette production d’autant plus que les données agricoles sont essentielles au-delà de notre secteur lui-même. Elles sont par exemple indispensables au pilotage de la transition écologique. Un autre obstacle réside dans le manque de maîtrise, de compétences et/ou d’accès au numérique et au réseau internet. Cela aussi peut être un frein et faire naître une appréhension même si les agriculteurs sont accompagnés sur ce chemin par les organisations professionnelles.
Quels leviers pourraient permettre de les franchir ?
Le point essentiel est de trouver des meilleures clés de partage et de répartition de la valeur entre les organismes publics, les entreprises, et tous les acteurs qui utilisent ces données pour faire de la richesse. C’est un sujet qui me mobilise depuis mon arrivée à la FNSEA et qui sera discuté dans les mois et années à venir. Il faut donner aux agriculteurs une grille de lecture de leur génération de données et de leur valeur plus évidente. A ce jour, au-delà de ceux qui ont une appétence naturelle pour le sujet numérique, la majorité des agriculteurs ne voient pas ce que ça leur apporte. La formation est également un levier important. En formation initiale, l’acculturation au numérique fait partie du tronc commun mais il faut aller plus loin et augmenter le niveau à la sortie des lycées agricole et des écoles d’agri. L’enjeu est le même en formation continue. Plus les agriculteurs seront formés à appréhender ce monde de données et de performance économique qui les entoure, plus ils pourront performer dans leur métier, qu’ils soient agriculteurs ou salariés. Enfin, un dernier levier, réglementaire, consisterait à soutirer le consentement par la force de la loi. Ce n’est pas celui que l’on retient car, à notre sens, on n’obtiendra rien de bon en imposant les choses. Protéger les données, oui ; obliger les agriculteurs à en produire et à les partager, non !
Des données plurielles à l’image de l’agriculture française
« La France s’illustre en effet par une richesse de cultures et de typologies d’exploitations : élevage, grandes cultures, viticulture, maraichage, arboriculture… et la liste est encore longue ! L’agriculture est plurielle. Par conséquent, les données qu’elle génère le sont aussi tant dans leur type quand dans leur quantité. Ainsi le type et la volumétrie des données dépendent de la typologie de l’exploitation. »
Thierry Desforges, vice-président de la commission Recherche & Développement en charge du numérique à la FNSEA.