Article

Experts Data dans le secteur agricole : comment recruter les bons profils ?

Comme tous les autres secteurs, le secteur agricole connaît une véritable révolution liée à la gestion et au traitement des données. Pour répondre à ce double enjeu, les besoins en ressources humaines qualifiées sont particulièrement importants, a fortiori pour un secteur comme celui de l’agriculture, vers lequel peu de profils de ce type se tournent instinctivement. État des lieux et pistes d’amélioration avec Olivier Claux, directeur associé du cabinet de recrutement MG Consultants, spécialisé dans l’accompagnement des entreprises du secteur agricole.

Les besoins en compétences data ne cessent d’augmenter. À titre d’exemple, selon la deuxième édition de l’enquête « Le futur des métiers de la data vu par les grands groupes français »[1], 90 % des entreprises interrogées ont réalisé des recrutements en externe sur des métiers en lien avec la data au cours des trois dernières années. Et, dans les 12 à 24 prochains mois, 88 % d’entre elles envisageraient de réaliser des recrutements dans le domaine des insights (Data Scientist, Data Analyst, Data Visualiser) et une même proportion dans le domaine des technologies (Data Engineer, Data Architect).

Un enjeu : des ressources pour piloter les données

C’est dire si le contexte est concurrentiel pour les entreprises qui cherchent à recruter ces profils ! Comme l’explique Olivier Claux, directeur associé du cabinet de MG Consultants : « Comme tous les autres, le secteur agricole est confronté à cette question de la gestion de la donnée. Il a d’ores et déjà entamé une importante et rapide mutation dans ce domaine. En effet, la donnée est essentielle pour la performance technique et agronomique.  Pour permettre de produire plus et mieux, à l’image, par exemple, des semenciers, qui croisent les données de façon prédictive pour élaborer les semences de demain, ou dans le domaine de la génétique animale pour améliorer les performances. » Dans tous les pans l’agriculture, il y a « cette nécessité de maîtriser les données et de travailler sur des modèles pour répondre à des enjeux de performance, donc, mais aussi des enjeux environnementaux et sociétaux », poursuit Olivier Claux.

Attirer les profils de la data : quelles difficultés ?

Pour apporter cette réponse, il faut disposer des ressources humaines formées et suffisantes. Or, « les profils de la data ne vont pas s’orienter vers le secteur agricole et très peu de candidats qui ont les compétences y pensent spontanément alors même que les besoins sont, eux, bien réels et vont aller en s’accentuant », souligne l’expert.

Ajoutons à cela que ces profils sont très prisés. Ainsi, dans l’étude précitée, 87 % des entreprises déclarent rencontrer souvent ou parfois des difficultés pour recruter des profils type « technologie » et 84 % pour des profils type « insights ». Le manque de postulants est la deuxième raison invoquée, derrière des exigences salariales trop élevées.
« Les candidats disposent donc de nombreuses offres d’emploi en main pour choisir, ce qui entraîne la nécessité, pour les entreprises, de “se vendre” au mieux pour les attirer, constate Olivier Claux. Cela reste en effet un marché de candidats pénurique. Il faut donc se poser la question de notre capacité à développer cette partie numérique et de gestion de la donnée pour pallier ce double manque de candidats et de visibilité des entreprises. »

Des pistes pour rendre les besoins du secteur plus visibles

L’une des possibilités pour y remédier est de renforcer la présence des acteurs du secteur, notamment dans les instituts de formation et les organisations professionnelles. Pour Olivier Claux, « ils doivent y proposer quelque chose de disruptif. En cela, le travail sur le vivant – qui est l’essence du secteur agricole – est quelque chose de formidable à mettre en avant. Il faut donner cette perspective aux étudiants que le secteur agricole est un milieu très concret, très palpable. C’est ce qui permettra à l’agriculture de se différencier. » Un positionnement dont le secteur a conscience à une échelle plus ou moins grande : « Dans les grands groupes, on voit des politiques plus dynamiques, car ils savent que la guerre des talents se joue au quotidien, constate Olivier Claux. En revanche, si les petites structures mettent en place des actions autour des formations classiques d’ingénieurs, elles ne se tournent pas forcément spontanément vers les formations plus techniques et axées data et informatique. » Bien sûr, les besoins en termes de recrutement de profils type Data Scientist sont moindres et/ou moins récurrents pour les petites structures que dans les groupes coopératifs, si bien qu’elles ont tendance à externaliser ce type de postes. « Mais la conséquence est que cela ne permet pas de développer une visibilité forte des entreprises », regrette Olivier Claux.

Mûrir sa stratégie… et la faire connaître !

Pour y remédier, il est essentiel de bâtir une stratégie de recrutement solide. « La première chose est d’avoir une dynamique de communication à plusieurs étages, préconise le directeur de MG Consultants. Il faut construire des projets scientifiques qui actionnent ce volet data, potentiellement en face d’un public très connecté. Il faut donc mettre en avant ces métiers pour faire parler de ces projets. »

Autre recommandation : soigner ses relations avec le terrain. « Je conseille de cultiver précieusement ses liens avec les écoles et de faire parler de ses projets dans les établissements de formation, en intervenant directement auprès des élèves qui y sont très nombreux à rechercher des alternances, des stages, etc. », poursuit Olivier Claux.
Une démarche qui s’ajoute au travail de communication institutionnelle plus « classique », de sponsoring et de participation aux forums. « De manière générale, l’objectif est vraiment de faire connaître le domaine agricole dont de nombreux candidats et futurs candidats ignorent les potentialités, et de se faire repérer comme recruteur et potentiel employeur, conclut Olivier Claux. La clé, c’est vraiment d’être communicant pour susciter l’intérêt de ces profils tant convoités. »

Se donner les moyens de recruter mais aussi de garder les bons profils
Olivier Claux, directeur associé, MG Consultants
« Le processus de recrutement ne s’arrête pas une fois l’entretien d’embauche terminé : il faut ensuite parvenir à garder les personnes recrutées. Pour cela, il me semble essentiel de bien cadrer, dès le départ, leur(s) mission(s), a fortiori lorsque cela rentre dans le cadre d’une création de poste. Il faut partager avec la personne recrutée les enjeux, la solliciter et l’impliquer dans la feuille de route du projet. De fait, la plupart du temps, les projets « data »  sont au long cours : cela nécessite donc de la structuration, une analyse récurrente et poussée de la situation et des avancées, des interactions et des échanges réguliers. Ce ne sont pas des postes d’exécution très opérationnels : il y a aussi une vraie dimension de structuration de l’entreprise et des données. Pour fidéliser, il faut donc engager les personnes dans des durées concrètes avec des étapes définies. Bien avoir structuré sa stratégie data en amont et l’expliciter est donc nécessaire pour que la personne puisse se projeter sur le long terme. Ensuite, et comme dans n’importe quels métier et secteur, le rôle du manager est crucial pour accompagner les réalisations, faire progresser et monter en compétences. Aujourd’hui, recruter ces profils pénuriques demande vraiment beaucoup d’efforts en amont : il faut s’y prendre en avance et installer une stratégie de recrutement en interne mais aussi avec ses partenaires externes. Comme la situation est complexe, il faut se donner tous les moyens pour y arriver. Beaucoup d’entreprises ne sont pas encore assez dans cette réflexion sur l’impact du recrutement. Nombre d’entre elles se focalisent sur la marque employeur et la visibilité de l’entreprise mais il faut aussi intégrer la notion de visibilité du projet stratégique et le parcours de la personne dans l’entreprise pour donner envie et du sens. Cela permettra que la personne s’engage dans la durée car, rappelons-le, ce sont des métiers extrêmement sollicités : il faut donc redoubler d’efforts pour non seulement les recruter mais aussi les fidéliser. »


[1] étude réalisée par Kantar Public, l’ESSEC Metalab for Data, Technology & Society, et le groupe BPCE pour la French Tech Corporate Community

Masque_carre9-15
Matthieu Pasquio
photo-1597337726353-26512fbe80c6