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Standardisation : vers des normes ISO liées aux données agricoles… et plus d’interopérabilité ?

Ce n’est pas nouveau mais cela vaut quand même la peine de le redire. La standardisation ou normalisation des données est un sujet majeur pour le secteur agricole. Pourquoi ? Parce que si les données étaient standardisées, le quotidien administratif des exploitants agricoles s’en trouverait grandement simplifié : finies les multiples ressaisies et les erreurs associées. Explications.

« Pour pouvoir échanger des données entre différents systèmes d’informations, il est nécessaire que la donnée issue d’un système A soit reçue et comprise par les systèmes B ou C », explique Gaëlle Chéruy-Pottiau, directrice conseil chez Agdatahub et experte en standardisation des données agricoles. En résumé, viser la normalisation des données, c’est vouloir mettre en œuvre un langage commun pour que tous les systèmes se comprennent, « en faisant en sorte qu’une donnée ait la même signification pour tous ».

Cette idée d’un langage commun des données agricoles a germé à l’issue des tout premiers Etats généraux de l’alimentation et a mené à la fondation de l’association Numagri. Réunissant des acteurs clés du secteur (Chambres d’agriculture, FNSEA, Coopération agricole, Fondation Avril, Cniel, Intercéréales…), Numagri et ses adhérents ont été à la manœuvre dans plusieurs projets ayant donné lieu à des prototypes : la standardisation des données d’alimentation du troupeau bovin laitier, l’amélioration de la logistique céréalière ou encore la traçabilité et la valorisation du soja et du maïs produits en France.

Standardisation des data agricoles : difficile passage à l’échelle

Aujourd’hui, force est de constater que si les problématiques et les solutions correspondantes sont identifiées, le passage à l’échelle se fait peu, voire pas du tout. « Nous savons ce qu’il faut faire pour standardiser les données agricoles… mais le problème d’interopérabilité persiste. Pourquoi ? Parce que les entreprises partenaires des exploitations agricoles ne sautent pas le pas et ne font pas les investissements nécessaires », pointe Gaëlle Chéruy-Pottiau.

En clair, les organisations ont du mal à faire de l’interopérabilité des données un sujet prioritaire : la question des « data » étant encore trop perçue comme abstraite dans la plupart des structures. L’actuelle Stratégie européenne sur les données et la mise en œuvre du futur espace de données agricoles (projets Agridataspace et CEADS) devraient aider les acteurs à gagner en savoir et en maturité sur la question de la digitalisation de l’information.

En effet, ces dernières années, la Commission européenne a déployé un arsenal de textes réglementaires (RGPD, Data Governance Act, Data Act…) afin d’orchestrer la circulation des données personnelles et non personnelles dans les Etats membres. Son objectif ? Créer un marché de la donnée dont les futurs espaces de données sectoriels seront les piliers.

Les revendications des agriculteurs et des éleveurs français en début d’année 2024 au sujet de la simplification administrative devraient aussi aider le sujet à faire son chemin dans l’écosystème.

Vers de futures normes ISO liées aux données agricoles

Enfin, au niveau international, le paysage normatif devrait également bouger puisqu’un tout nouveau comité technique dédié aux systèmes agro-alimentaires pilotés par les données s’est constitué fin 2023. Nom de code : « ISO/TC 347 Data-driven agrifood systems ». Son périmètre est large. Il s’intéresse aux « défis d’interopérabilité comme l’agrisémantique, les modèles, mesures et données de durabilité dans les systèmes agroalimentaires ; la gestion des données relatives aux activités d’élevage et les serres, environnement contrôlé et agriculture urbaine », pour le moment. Aujourd’hui, 24 pays y participent.

« La présidence de ce nouveau comité technique est américaine, tandis que le secrétariat est assuré par les Allemands », précise Perrine Leroy, cheffe de projet en normalisation du département Agroalimentaire, pour Afnor Normalisation. Cela s’explique par le fait que la demande de création de ce large domaine ISO est venue de nos voisins européens.

« Ce nouveau comité technique regroupe énormément de sujets car les données, évidemment, se retrouvent un peu partout dans le domaine agricole. D’habitude, nous travaillons sur des domaines bien définis pour éviter tout chevauchement dans l’application des normes : miel, cacao, santé animale… ».

La France en avance sur l’harmonisation des données

L’Afnor accompagne les 13 acteurs français qui se sont engagés dans ce projet de normalisation, au sein de la commission française « Smart Farming ». Gaëlle Chéruy-Pottiau y intervient d’ailleurs au nom de Numagri (Agdatahub étant le contact opérationnel de l’association) et travaille étroitement avec Agro EDI Europe (association de normalisation des Echanges Electroniques Professionnels Agricoles) pour porter une vision commune de la profession agricole française au sein du comité ISO. « La France s’est bien saisie du sujet, avec les acteurs majeurs du secteur qui sont proactifs. D’ailleurs, la France est très en avance sur l’harmonisation des données », estime Perrine Leroy.

Cinq ad hoc groupes (tel qu’on les appelle dans le monde de la normalisation) ont déjà été formés :

  • plan d’activité stratégique
  • modèle et vocabulaire contrôlé pour les cultures
  • automatisation des serres et des environnements contrôlés
  • lutte intégrée contre les ravageurs (IPM)
  • « Annotating agrifood data for AI ».

La cheffe de projet de l’Afnor invite encore tous les acteurs français intéressés par ce projet de normalisation à la contacter afin de rejoindre la commission : « Plus le tour de table est important, mieux c’est ! Il faut que tous les maillons puissent être représentés car toutes les structures ont leurs propres enjeux et nous sommes encore dans une étape nécessaire pour comprendre le besoin français. Il est important de porter la voix de notre secteur agricole français à l’ISO, où le maillon agricole est peu représenté. »

Des standards de données agricoles d’ici 2 ans ?

Après un temps de réflexion sur les demandes des acteurs des filières au niveau national, les besoins de normalisation seront rapportés au niveau international dans l’objectif d’obtenir ce que l’on souhaite… ou tout du moins de s’en rapprocher en parvenant à un consensus !

« Si la stratégie est encore imprécise car les travaux viennent de démarrer, la première publication devrait arriver rapidement car le comité a fait le choix de travailler en parallèle des groupes ad hoc sur un document IWA (International Workshop Agreement), généralement développé en un ou deux ans, c’est-à-dire plus rapidement qu’une norme. De plus, le travail se base sur une proposition déjà très élaborée publiée en février 2023 », note Perrine Leroy. Il s’agit de définir un modèle d’architecture de référence pour les systèmes agricoles et agroalimentaires. Cinq ateliers sont prévus et les premiers résultats sont attendus dès mars 2025.

Sujet connexe, le futur espace européen commun de données agricoles pourrait lui voir le jour d’ici trois ans. En effet, les travaux doivent commencer dès janvier 2025 pour une durée de 36 mois. Les partenaires du consortium retenu vont mettre en application la feuille de route de l’étude préliminaire qu’avait coordonnée Agdatahub entre octobre 2021 et avril 2024. Pour cette seconde phase de travaux, il s’agit bien de déployer l’infrastructure technique permettant de faire circuler les données agricoles et agroalimentaires à l’échelle de l’Europe. « Il y aura forcément des liens avec les travaux de l’ISO/TC347 », note Perrine Leroy.

Qu’il s’agisse d’initiatives à l’échelle des filières agricoles au niveau national ou mondial, la standardisation ou normalisation des données est un sujet à suivre de près. Ou, mieux, un sujet dont il faut s’emparer !

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